« La
bouche fendue jusqu’aux oreilles,
les gencives découvertes et le nez écrasé,
tu
seras masque et tu riras toujours »
Quand
il écrit l’Homme qui rit, en 1866, Victor Hugo, homme qui
aime l’ordre et l’organisation dans ses oeuvres, médite le projet
d’une trilogie romanesque dont ce roman serait le premier jalon.
Comme le signale la préface, il ouvre un cycle que poursuivra Quatre-vingt-treize,
autre versant d’une méditation sur les idées de monarchie,
d’aristocratie et de Révolution… En cela, le roman s’inscrit bien
dans une époque qui veut que, comme le développe justement Mona Ozouf
dans son essai sur les Aveux du roman, le roman se
transforme en observatoire de la Révolution française. L’Homme
qui rit plonge le lecteur dans l’Angleterre du XVIII° siècle.
Or, il est évident que, dans ce roman, l’Histoire anglaise est un
miroir à travers lequel le romancier s’interroge. De la même façon
que d’autres grands écrivains du XIX°siècle, et peut être davantage
du fait de sa longévité, de ses ascendants et de son évolution
politique, Hugo éprouve le besoin d’interpréter ce « patrimoine
national » qu’est la Révolution française.
Pourtant, ce n’est certainement pas comme première pièce d’une
trilogie que l’Homme qui Rit s’impose au lecteur
aujourd’hui. D’abord, parce que Hugo n’a pas eu le temps de rédiger
les trois œuvres illustrant chacune un aspect de sa réflexion. Ensuite,
parce que divers événements retardent l’accomplissement du livre qui
ne paraîtra que deux ans plus tard, en 1868. « Ce livre, dont la
plus grande partie a été écrite à Guernesey, a été commencé à
Bruxelles le 21 juillet 1866, et fini à Bruxelles, le 23 août 1868 ».
Il semble en effet qu’au fur et à mesure de l’écriture du roman, la
préoccupation historique soit dépassée par la préoccupation métaphysique.
Depuis l’exil, Hugo manifeste un goût prononcé pour le mystère qui
l’entoure. Dressé sur son rocher, sur fond de ciel noir, il impose sa
silhouette hautement romantique. Il affirme à la fois sa dimension de poète
et de romancier de l’Invisible. Homme, il souffre de l’absence de
« celle qui est restée en France », éprouve la douleur
renouvelée du deuil de son petit-fils Georges… Artiste, il cherche à
sublimer la souffrance par le vertige de l’œuvre d'art... Mage, il
interroge les astres, sonde l'univers qui l'entoure, en écoute les
voix, élabore la théorie de l’échelle des êtres. Quand il écrit le
chapitre « le Paradis retrouvé ici-bas », il accompagne
la chanson que chante Déa de cette note destinée à célébrer la
naissance de son second petit-fils, lui aussi appelé Georges :
« Aujourd’hui, comme je venais d’écrire cet appel à un absent,
Petit Georges est revenu. A quatre heures cinq minutes de l’après-midi.
Alice l’a remis au monde ». Ainsi, au terme de l’exil dans cette
grande demeure de Hauteville-House, le roman de l’Homme qui Rit
apparaît comme une somme, une magnifique « boite » qui
renferme l’essentiel de la pensée hugolienne. Cette « boite »
ne peut être que verte, de la couleur de la Green-Box qui véhicule à
travers les provinces anglaises la pensée sidérale de « la tribu
prophétique ».
Le
présent ouvrage se propose d’étudier cette œuvre complexe notamment
en privilégiant certaines des entrées proposées dans les nouveaux
programmes de français du baccalauréat. |