Dans l’œuvre immense de Hugo, deux romans de l'exil, qui présentent de
troublantes analogies, sont encore trop souvent méconnus : l’Homme
qui rit et les Travailleurs de la mer .
Ces œuvres écrites, autour de 1860 détonnent dans le paysage littéraire
de l’époque et constituent comme « un hérissement » dans la mesure où
elles sont toutes les deux empruntes d’un romantisme étrange, où les
visions se mêlent à la fiction et où les images nourrissent une profonde
interrogation métaphysique.
Au cours de son exil dans les Îles anglo-normandes, il semble que Hugo
redécouvre l’océan. Il n’était encore qu’un prétexte à la rêverie
romantique comme en témoigne le fameux poème extrait des Rayons et
des ombres « Oceano nox » naguère décrié par le Breton Tristan
Corbière. Le contact avec l’océan à Jersey puis à Guernesey ressemble à
une immersion. L’océan renouvelle l’inspiration du poète, suscite en lui
des visions et lui révèle une partie du mystère qui l’entoure, il
déchaîne sa fureur politique et accomplit son destin de prophète. Toute
la mythologie hugolienne en subit la pression. L’océan et les mythes qui
s’y rattachent redessinent les grands traits de la mythologie
hugolienne. Lorsqu’il arrive dans les îles de la Manche, Hugo devine
qu’il va entreprendre un long dialogue avec l’Océan : nous verrons qu’il
ne cesse de le rappeler dans les textes. Au contact de Guernesey,
le génie de Hugo se révèle :
Cette île apparaissait lugubre. La brume couvrait tout, la côte sonnait
sous la vague, la mer faisait sur les rochers d’immenses décharges
d’écume, le ciel était hostile et noir.
Ce décor hautement romantique qui apparaît dans le préambule des
Travailleurs de la mer « l ‘Archipel de la Manche » constitue
une véritable mise en abyme du décor dans lequel les personnages des
romans de Hugo vont dresser leur silhouette. Gilliatt et Gwynplaine sont
les titans d’une même épopée dans l’océan...
La lecture d'une œuvre comme les Travailleurs de la mer
permet justement la découverte de ce Hugo polymorphe et « polyphème ».
Ce roman constitue, comme l'Homme qui rit, une espèce de "roman rocher"
précisément dédié "au rocher d'hospitalité". À une époque
où le mouvement romantique s'est essoufflé, du haut d'un Guernesey
sublimé, Hugo-Prométhée adresse à l'humanité ce livre éminemment
romantique, pierre de touche de son génie. |